Sortie dans l’Eiffel oriental le 25 mai 2006

Excursion dans l’Eifel oriental, le 25 mai 2006

Sept heures du matin, place du Roi Georges à Metz. Le ciel est plombé ; quelques gouttes éparses sur les vitres des véhicules des retardataires qui se garent. Tiendra ? Tiendra pas ? Les participants ont sans doute prévu des tenues de pluie. Souhaitons qu’ils n’aient pas à s’en servir. Quelques minutes plus tard, le bus démarre, suivi d’une voiture occupée par des archéologues. La pluie s’essaye, deci-delà, tantôt une petite bruine, tantôt des gouttes volumineuses qui font douter de la réussite de l’excursion. Le pare-brise fêlé est irrémédiablement inondé et on se console parfois en remarquant que la partie soumise aux essuie-glaces ne se recharge pas toujours aussi vite en eau. Trier est dépassée. Sur l’Eifel, les nuages s’éclaircissent un peu. Les gouttes s’estompent, l’espoir renaît ; même un morceau de ciel bleu à 11h, faisant écho à un halo lumineux à 2h. Arrêt de convenance sur l’aire de Eltztal. Nous sommes dans les temps. Finalement, ce n’est pas un trajet si long, même à 100km/h. J’ai commencé la leçon dans le bus, profitant du micro. Bien le confort moderne, ça économise les cordes vocales et permet de gagner un peu de temps pour les explications. Quelques documents circulent ; qui le voudra s’en imprégnera. La voiture des Strasbourgeois nous rejoint. Le convoi est au complet. La pluie a cessé. Un chocolat à 2,30E et nous nous ébrouons en direction des volcans.

Repérage à Mendig dont l’accès est toujours problématique si l’on ne veut pas se retrouver à Koblentz ou Aachen en se trompant de bretelle. Le mur de ponce est bien visible, un peu sombre aujourd’hui mais s’il ne pleut pas, ça ira. Les sombres volcans boisés environnants contemplent l’air navré leur collègue éventré au Wingertsberg qui n’a plus de Berg que le nom. Le col franchi, le Maria-Laach s’étale dans toute sa splendeur, cerné par la forêt reflétant un ciel devenu gris-clair, comme il y a 12000 ans. Toujours cette idée obsédante que tout cela s’est fait en trois jours. Puissance de la Nature… L’abbaye étonne quand elle apparaît presque sans prévenir au détour d’un hallier. Toujours aussi surprenante dans son cadre champêtre, elle arrache des paroles d’admiration des voyageurs. Je parle peut-être trop. Ne vaut-il pas mieux laisser les passagers se faire eux-mêmes une opinion plutôt que de leur imposer la mienne. Il est des lieux où l’Esprit se passe de commentaires. La descente dans le Brohtal est l’occasion de nouveaux commentaires sur l’ampleur de l’éruption. Qu’ont pensé les savants géologues des temps anciens quand ils ont compris à quoi correspondait cet ensemble ? Était-il resté quelque chose dans la mémoire collective des descendants des spectateurs du cataclysme. Belle surprise quand revenant sur les lieux, ils se sont trouvés face à un chaudron inconnu dans un paysage lunaire gris cendreux. Beau spectacle en vérité. Genre Saint-Helens mais en moins tourmenté. L’Eifel n’est pas les Rocheuses.

Retrouver l’embranchement qui mène au Herschenberg. La voie ferrée est bien utile. La carrière apparaît sur fond de ciel menaçant. Pourtant, la vue est assez dégagée vers le sud. Premier débarquement. Montée vers le cratère sous quelques gouttes qui n’insistent pas. Heureusement, les scories ne collent pas aux pieds. Le bleu turquoise de l’étang surprend et l’on se perd en tentatives d’explications. L’immense foule des excursionnistes qui s’étale sur le chemin étonne pour qui est coutumier des sorties confidentielles de la Société. Quel succès ! Et même pas de quoi déplier les parapluies. Les curieux se dispersent, l’un ramassant un caillou, l’autre contemplant le spectacle impressionnant du front de taille chamarré, l’autre cassant, l’autre perplexe et tentant de rassembler ses souvenirs scolaires ou universitaires pour y rattacher ce qu’il voit là. Le mégaphone tente en vain de rallier les troupes pour leur exposer les renseignements que j’ai pu glaner. C’est la chasse aux phlogopites rutilantes, aux bizarres minéraux verts que Bernard identifie comme étant des épidotes, aux pyroxènes et autres zéolites. Toujours cette impressionnante idée que tout cela a pu se faire en seulement quelques semaines comme il y a quelques années en Islande. Les couleurs sont jolies, chaudes avec ces roux et oranges variés sous le noir profond. Pas grand chose de consistant dans tout cela : un dyke de mélilitite et c’est tout. Tout le reste, c’est du granulat prêt à l’emploi. Dommage pour le Berg dont il ne restera rien dans quelques années si aucune mesure de protection n’est prise. Triste sort que celui de la Nature, même dans ses plus beaux atours quand le profit est en vue.

L’heure tourne ; il faut battre le rappel et la cohorte abandonne à regret le site pour se diriger vers les cieux de la spiritualité ou des marchands du temple, c’est selon. L’inévitable parking payant qui a au moins le mérite d’éviter l’invasion sauvage du site par des véhicules encombrants. Quelques mots sur les dimensions de la caldeira, les émissions de gaz, les diatomées et autres curiosités avant que les touristes ne s’égayent parmi les vénérables bâtiments de l’abbaye et des constructions annexes. L’abbatiale étonne par son état de fraîcheur, comme c’est le cas du reste dans tous les lieux de culte allemands qui bénéficient d’une restauration permanente sauf pour ceux qu’on laisse volontairement à l’état de ruines romantiques. La librairie bien achalandée est envahie par les amateurs tandis que les prévoyants se restaurent, le déjeuner devant être très tardif. Départ quelque peu retardé, mon chronométrage n’ayant pas prévu que tout se passerait si bien. Finalement, je devrais presser un peu moins mes troupes si obéissantes.

Retour à Mendig, direction la carrière abandonnée de basalte. Partout, le long des propriétés la roche noire taillée, brute ou sciée, avec parfois des formes d’un goût douteux destinées à montrer le savoir-faire des artisans qui se succèdent là depuis des siècles. Il faut la trouver et la mériter, cette carrière. On longe au début une clôture qui sépare le chemin d’une profonde carrière en activité, puis on quitte le chemin principal pour prendre un sentier puis une trace qui s’enfonce parmi les buissons avant de plonger par un sentier de chèvres glissant jusqu’au ventre du cratère anthropique. Les énormes colonnes prismatiques un peu ondulées constituent l’ancien front de taille maintenant en partie envahi par la végétation. Quelques explications et la foule est lâchée (elle n’avait d’ailleurs pas attendu) à la recherche du caillou original, du minéral, de la structure ou d’autre chose, selon l’intérêt du moment. Les archéologues touchent du doigt la roche qu’ils ont parfois trouvée sur les sites lorrains qu’ils étudient. Le site est propice aux escalades et explorations en tous genres, aussi, la densité des amateurs n’est-elle jamais très importante. Untel cherche le contact entre la coulée de basalte, en fait une phonolite et le loess coincé sous les projections du Maria Laach, tel autre disparaît dans une galerie, d’autres ramassent des échantillons, font de la botanique ou discutent tout simplement de choses et d’autres sous un ciel particulièrement clément. Outre les prismes géants, l’intérêt de la carrière réside dans le fait qu’elle fut également exploitée en souterrain d’où ces trous béants qui émaillent le front de taille. La surprise est garantie quand le quidam passant par une ouverture de taille humaine se retrouve quelques mètres plus loin dans une vaste salle dont le plafond est une mosaïque géante de bases de prismes maintenus par Dieu sait quel prodige et des souvenirs rouillés d’agrafes de fer. Surtout, pas de bruit, pas de chocs inconsidérés Une teinte jaune verdâtre due à des algues rappelle que la vie est là, même dans ces endroits peu hospitaliers ; mais avec de l’air, de l’humidité et un zeste de lumière, cela suffit amplement. La plus belle salle que l’on découvre vers l’ouest après un parcours épique parmi de gros blocs épars dans une quasi-obscurité est éclairée de manière surnaturelle, du moins quand on la découvre, par une lumière diffuse et blafarde provenant d’un orifice qui la met en relation avec le fond de la carrière. Une grande impression ! La remontée précédée par le rappel toujours peu efficace quand l’intérêt est supérieur à l’appel du ventre se fait sans problème. La taille impressionnante des blocs abandonnés sur le palier supérieur lors de la fermeture du site laisse perplexe et l’on se demande de quels moyens disposaient les carriers de l’époque. On retrouve l’imposant monolithe qui marque l’entrée de l’exploitation et qui a servi de panneau d’expression pour des tagueurs aux opinions très divergentes. Signe des temps, raccourci des extrêmes qui occupent le devant de la scène, cachant la majorité décidément toujours aussi silencieuse.

L’essentiel de la foule se précipite sans en avoir l’air vers le Vulkan-Brauhaus pendant que quelques uns s’attardent dans les déblais d’une autre carrière à la recherche féconde d’échantillons d’autres types. Le restaurant-brasserie est installé au-dessus de caves taillées dans la coulée de basalte où fermente à 30 mètres sous terre, le moût qui donnera la Vulkan-Bier. L’immense salle est envahie par une non moins immense foule de convives mais on a heureusement laissé un certain nombre de tables à notre intention. Les excursionnistes se répartissent par affinité et le plus difficile commence, c’est-à-dire comprendre, commander et se faire servir dans des temps raisonnables. Vulkan-Bier nuageuse et Weisswein coulent à flot, aidant à la descente des Schnitzel, tagliatelles végétales et autres salaisons et salades. Deux heures plus tard, glaces ou cafés absorbés, la note est réglée et les troupes repartent vers de nouvelles découvertes.

Retrouver le chemin de la carrière de bims ne présente plus de difficultés pour qui a reconnu le parcours. Le ciel est toujours clément, tout va bien. Après un chemin pierreux et cahotant, le bus nous abandonne près d’un néo-cratère ouvert dans l’ex-volcan du Wingertsberg. Une certaine impression de fouillis ou de chantier, ce qui est, ma foi, normal sur un chantier : un peu de tout partout : engins, trémies, outils variés, baraque de chantier, blocs abandonnés, tas de granulats anciens et modernes, matériels humains en tout genre. Du point de vue géologique, c’est plutôt pire avec de la roche compacte, des scories, des bims, des couleurs variées, peut-être des loess et en arrière plan, la falaise. Une petite explication s’impose et une vieille hampe de bouillon-blanc fera la baguette pour montrer les sites sur le vestige de la carte épargné par mon chat, ceux qui suivent mes sorties géologiques comprendront. Un aperçu sur le front de taille aménagé et nous voici devant la muraille, impressionnant témoignage de la plus catastrophique éruption volcanique du Quaternaire, après peut-être celle de la vallée des 10 000 fumées en Alaska au début du XXe siècle. Le discours ne peut rendre l’impression qu’éprouvent ceux qui savent ; 350¡C au début, plus de 700¡C à la fin, 5km3 de magma, un panache de plusieurs dizaines de km de hauteur, une centaine de mètres de dépôts subsistant après 12000 ans d’érosion, nuées ardentes, coulées pyroclastiques, lutte du magma et de l’eau, chape cendreuse recouvrant des dizaines de km2, une caldeira de 2km2, le tout en trois jours. Et au milieu de la grisaille de la désolation, l’azur des cristaux d’haüyne… Note d’espoir parmi la désolation, un peu comme les épilobes sur les cendres du St-Helens. La chasse aux cristaux s’organise et c’est à qui trouvera les plus belles haüynes. Certes, elles sont belles mais les vagues de cendres de la partie supérieure du front font un peu froid dans le dos. La toute puissance de la Nature ! Le temps nous est compté et c’est bien dommage car le front de taille fuit vers le nord, dans les profondeurs d’une fouille qui double la puissance encore visible de la coulée. C’est dantesque. Partout, les chercheurs cherchent, affutant leur regard pour trouver la rareté ; on en oublierait presque de parler de la ponce, cette fantastique écume de lave qui a sans doute créé une espèce d’embâcle sur le Rhin durant une longue période après l’éruption.

Question rémanente : et maintenant ? Oui, c’est encore anormalement chaud, Moho n’est pas loin, les ondes l’ont dit, et les sources hydrothermales aussi ! Pas encore, plus tard, peut-être. Les excursionnistes ne sont décidément pas enclins à quitter des lieux aussi prestigieux ! De lourds nuages menaçants venus par l’ouest à grande vitesse accélèrent le rembarquement. Une pluie battante nous raccompagne jusqu’à Metz. Le Ciel fut décidément bien clément avec nous.