Conférence du 20 février 2003 : Flore et végétation des pelouses sèches des collines calcaires sous-vosgiennes du Haut-Rhin

par Nicolas PAX

Les collines calcaires alsaciennes de la région de Rouffach-Westhalten au sud de Colmar sont connues depuis fort longtemps pour leur biodiversité autant animale que végétale. Menacées de tout temps par l’avancée des vignobles, ces collines ont pu se maintenir dans leur biodiversité jusqu’à nos jours par une longue tradition de pastoralisme par le biais des bergers et de leurs troupeaux d’ovins. Protégé par des organismes de protection de la nature depuis 1965, certaines collines ou des parties de celles-ci ont été acquises par le conservatoire des sites alsaciens tandis que d’autres devraient être ou sont déjà intégrées au programme Natura 2000. Si la guerre fait encore rage entre les viticulteurs et les associations d’écologistes décidées à empêcher coûte que coûte l’installation de tout cm2 de vigne sur ces collines magiques comme on les appelle là-bas, on pourrait dans le futur envisager plus sereinement l’avenir de ces 160 ha de pelouses sèches remarquables qui selon le professeur Zoller de l’Université de Bâle constituent la plus grande diversité de végétation sèche de toute l’Europe centrale. Les collines calcaires de cette région dont l’altitude varie de 200 à 500 m sont surtout constituées de calcaire dur et de conglomérat côtiers du Tertiaire avec une intercalation de quelques marnes du Keuper et du Lias. Ces collines sont au nombre de quatre:

– Le Strangenberg est probablement la plus riche floristiquement.

– Le Bollenberg avec ses 2,750 km de long sur 1,5 km de large est la plus connue et la plus vaste. – Le Zinnkoepfle ou Sonnenkoepfle est la troisième colline au versant sud très encaissé et thermophile parallèle au Strangenberg.

– Le Bickenberg ou Bickeberg est la quatrième colline la plus excentrée par rapport aux trois autres. C’est aussi la plus haute (505 m d’altitude).

C’est aussi la seule dont l’essentiel du mésobromion est constitué de prairies de fauche parcourues par des bovins. Les orchidophiles connaissent bien le Bickenberg car c’est au pied de cette colline que se trouve la seule station alsacienne gravement menacée d’orchis pâle (Orchis pallescens). La moyenne des précipitations de cette région est plus faible que dans le reste de l’Alsace (450 à 500 mm d’eau par an contre 2100 mm d’eau par an pour les Hautes Vosges). Grâce au microclimat local chaud et sec caractéristique de la région de Colmar, une végétation subméditerranéenne et substeppique a pu se maintenir jusqu’à nos jours dans ces collines. Bon nombre d’espèces végétales patrimoniales très localisées pour le Haut Rhin et le Bas Rhin poussent uniquement dans cette zone. Les groupements végétaux que l’on peut rencontrer dans de tels milieux sont riches en espèces colorées attractives et en espèces beaucoup plus rares passant facilement inaperçues. C’est le xérobromion (pelouses sèches à Bromus erctus, le brôme dressé) qui constitue le groupement le plus riche. Il est le domaine des orchidées mais aussi d’une infinité d’autres plantes très localisées comme le scille automnal (Scilla autumnalis), la véronique en épi (Veronica spicata), l’aster amelle (Aster amellus) ou l’aster linosyris (Aster linosyris). Des espèces patrimoniales en limite nord de répartition comme l’armoise camphrée (Artemisia alba) fleurissent vers la fin de l’été dans ce type de milieu. D’autres plantes sont bioindicatrices de milieux de pierriers à dalles calcaires affleurant. Ce sont des espèces très thermophiles supportant peu la concurrence végétale et souvent crassulescentes. C’est le royaume des orpins (Sedum album, Sedum acre, Sedum sexangulare) mais aussi de petites annuelles comme l’alysson à calice persistant (Alyssum calycinum) ou de vivaces naines comme la potentille des sables (Potentilla arenaria) ou la potentille cendrée (Potentilla cinerea). C’est dans le groupement des ourlets thermophiles précédant les fruticées à amélanchier à feuilles ovales, rosiers et sorbiers que se localise la plus belle plante de toutes ces collines: il s’agit de la fraxinelle (Dictamnus albus) qui colonise par milliers de pieds ces ruptures de pente en présence des non moins colorés géraniums sanguins (Geranium sanguineum) et rosiers pimprenelles (Rosa pimpinellifolia).Le gaillet glauque (Gallium glaucum) et l’aspérule des teinturiers (Asperula tinctoria) viennent compléter ce tableau idyllique. Les friticées thermophiles riches en arbustes épineux sont le domaine des jeunes sorbiers (Sorbus aria, torminalis, domestica et latifolia). Les rochers et versants abrupts exposés au sud hébergent des espèces remarquables telles l’alsine faciculée (Minuartia fastigiata) ou l’hornungie des pierres (Hutchinsia petraea) toutes deux inconnues en Lorraine et très localisées dans cette région d’Alsace. Enfin, les multiples milieux secondaires tels que les vignobles, les bords de chemins, les vieux murets qui parsèment ces collines permettent d’observer de nombreuses adventices ainsi que des annuelles, des bisannuelles et des bulbeuses (Isatis tinctoria, Muscarineglectum, Tulipa silvestris, Crepis nemausensis, Calepina irregularis, Peucedanum alsaticum...). Conclusion: si certaines plantes comme la violette des rochers (Viola rupestris), le plumet (Stipa pennata) ou l’arabette auriculée (Arabis auriculata) n’ont pu être retrouvées sur le terrain car elles ont probablement disparu suite à l’embroussaillement de certaines zones rocheuses des pentes les plus abruptes de ces collines, on peut tout de même constater que la majorité des espèces décrites du temps des botanistes alsaciens ISSLER et WALTER au début du 20ème siècle ont pu se maintenir sur ces collines et se reproduisent encore à l’aube du IIIème millénaire dans les mêmes sites prospectés par ces auteurs il y a cent ans. Les collines de Rouffach de valeur internationale sont certainement mieux conservées que les rieds d’Alsace qui se sont réduits comme peau de chagrin au cours du 20ème siècle au profit de la culture du mais. Ceux-ci ne subsistent plus que sous forme de quelques lambeaux de zones humides préservés in extremis au prix de gros efforts. Espérons que les collines du Strangenberg, du Bollenberg, du Zinnkoepfle et du Bickenberg puissent avoir encore un long avenir devant elles pour exprimer toute leur biodiversité. Le professeur Roland CARBIENER considère d’ailleurs que les biocénoses des collines calcaires du Haut-Rhin sont au moins aussi prestigieuses que les vignobles alsaciens, la gestion de ces milieux étant d’autant plus maitrisable que les collines ont une longue histoire d’utilisation extensive.